En début d’année, a été publié, au journal officiel du 11 janvier 2024, l’appel à candidatures en vue de pourvoir la fonction de président du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Cette brève propose une analyse de cet appel à candidatures très révélateur de la place et du rôle que le ministère donne à l’évaluation au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR).
Au moins une année de vacance de la présidence, symbolique de l’importance accordée au Hcéres et à son développement
La présidence du Hcéres est vacante depuis fin septembre 2023 suite au départ de T. Coulhon. Il a fallu attendre trois mois pour la publication d’un appel à candidatures qui annonce une vacance effective de la fonction au 30 octobre 2024. Cette situation conduit à un intérim, assuré par le secrétaire général, depuis septembre 2023. Ce calendrier s’explique par le lien entre le mandat du président du Hcéres et celui du collège en charge de son administration. Une nomination plus rapide aurait nécessité la nomination d’un président pour une période limitée d’une année, jusqu’à l’échéance du mandat du collège. Le renouvellement anticipé du collège ne semble pas possible en l’état des textes, ce qui constitue quand même une anomalie pour la gouvernance du Hcéres. Il y aura donc, au minimum, une vacance de la fonction pendant une année, à condition toutefois que la procédure de recrutement d’un nouveau président s’opère dans les délais prévus, ce qui n’a jamais été le cas depuis la création de l’agence d’évaluation (Aeres puis Hcéres). Cette situation en dit long sur la place accordée au Hcéres dans notre ESR, car si quelques mois de vacance de la fonction sont compréhensibles, une période d’une année et probablement plus, apparait particulièrement préjudiciable au bon développement du Hcéres, notamment au travail permanent et fondamental de réflexion sur l’évolution des méthodes d’évaluation. Evidemment, pour autant que le président du Hcéres ait une vision politique claire des missions de l’agence, et que sa fonction soit donc nécessaire au fonctionnement de l’agence…
Un rappel du rôle de l’évaluation confirmant une fois de plus une vision réductrice de l’évaluation
L’appel à candidatures précise le rôle de l’évaluation portée par le Hcéres par la formulation reproduite ci-dessous :
« Le président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur sera choisi pour sa capacité à accélérer les évolutions entreprises pour simplifier l’évaluation, l’ancrer sur les résultats obtenus réellement par les opérateurs de l’enseignement supérieur et de la recherche et, par son relief, accroître son impact.
L’évaluation opérée par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur doit jouer pleinement son rôle de régulation de l’écosystème d’enseignement supérieur et de recherche par l’appréciation de la qualité des performances afin que des conséquences puissent en être tirées tant par les entités évaluées que par les autorités publiques qui en assurent la tutelle. En particulier l’évaluation doit être directement utile dans le cadre de la conclusion des contrats d’objectifs, de moyens et de performance des organismes de recherche, des universités et des autres établissements d’enseignement supérieur. Ainsi conçue, elle doit constituer l’accompagnement nécessaire d’une autonomie renforcée des établissements. »
Cette formulation est révélatrice, à plusieurs niveaux, d’une vision très réductrice de l’évaluation.
On peut tout d’abord noter, une fois de plus, l’absence de toute référence à l’assurance qualité, en contradiction flagrante avec l’appartenance du Hcéres au registre européen des agences d’assurance qualité. L’évaluation apparait comme la mission centrale, ce qui est certes une réalité, mais sans mentionner qu’elle n’est que l’outil du développement de l’assurance qualité au sein des établissements, vocation première des agences telles que le Hcéres, en charge de la mise en œuvre des standards européens (ESG). C’est tout à fait regrettable et symptomatique des carences de notre ESR dans ce domaine.
Le développement de la mesure des « résultats, obtenus par les opérateurs de l’enseignement supérieur et de la recherche », apparait comme un objectif premier du développement du Hcéres que devra conduire son nouveau président. C’est une approche très simpliste des établissements, considérés essentiellement comme des outils de production de résultats, alors que l’une des clés de l’amélioration globale des performances de notre ESR consiste à analyser en priorité les conditions, les leviers internes de gouvernance et de pilotage qui ont conduit à ces résultats et surtout à des plus-values significatives. C’est à ce niveau que réside une perspective d’amélioration de notre ESR alors que le libellé utilisé limite l’évaluation à un outil de mesure.
Enfin, l’élément le plus marquant de cet appel à candidatures concerne l’objectif affiché de l’évaluation du Hcéres qui « doit jouer pleinement son rôle de régulation de l’écosystème d’enseignement supérieur et de recherche par l’appréciation de la qualité des performances ». C’est clairement une évaluation sanction qui est mise en avant. Il est certes envisagé que « des conséquences puissent en être tirées tant par les entités évaluées que par les autorités publiques qui en assurent la tutelle », mais l’objectif premier est bien d’obtenir la liste des champions et des mauvais élèves. Réduire l’évaluation à un objectif central de régulation et de classement des établissements va-t-il constituer un puissant moteur de progrès de notre ESR ? Si seulement ce type d’objectif permettait d’apporter une aide plus substantielle aux établissements en difficulté dans le cadre des contrats d’objectifs, de moyens et de performance, on pourrait y voir un réel progrès. On peut toutefois en douter quand on constate les multiples occasions ratées dans ce domaine par le passé, l’exploitation des résultats de l’évaluation conduisant le plus souvent à une augmentation des moyens pour les établissements les mieux dotés…
Une absence d’exigence de compétences et d’expérience des candidats dans le domaine de l’assurance qualité
Les acteurs de l’assurance qualité savent bien que l’évaluation ne s’improvise pas et que l’assurance qualité n’est pas une compétence implicite des chercheurs et enseignants chercheurs. Il suffit d’analyser les débats sur l’évaluation à l’occasion des réformes de l’enseignement supérieur pour constater que chaque acteur de notre ESR a une perception de l’évaluation, mais qu’il est très difficile d’aboutir à un consensus pour faire de l’évaluation un outil de l’assurance qualité vecteur de progrès des entités évaluées. La désignation du président du Hcéres n’échappe pas à ce contexte. Les nominations successives, depuis la création de l’Aeres, conduisent quasiment toutes au même constat. Des présidences aux débuts quelque peu chaotiques, avec la découverte de la réalité de la problématique de l’évaluation, et des mandats essentiellement axés sur des changements de structuration interne du Hcéres et des ajustements marginaux de méthodologie, sans véritable vision ou projet de développement de l’agence, ou plus simplement sans capacité ou volonté à proposer une philosophie de rupture de l’évaluation au service du progrès des établissements et de leur autonomie.
Le nouvel appel à candidatures n’exige aucune compétence particulière dans le domaine de l’évaluation sans jamais mentionner le lien important avec l’assurance qualité. Dans ce contexte, le recrutement à venir risque, une fois de plus, de se limiter à un enjeu de choix d’une personnalité cherchant une fonction prestigieuse, avec le jeu d’influences habituelles des réseaux si présents dans le microcosme de l’enseignement supérieur et de la recherche…
Conclusion
Mon analyse est possiblement trop sévère car peut-être, peut-on essayer de lire entre les lignes de l’appel à candidatures et y voir des objectifs de progrès de notre ESR. Au-delà de ce libellé décevant, espérons que la procédure de recrutement du nouveau président du Hcéres soit plus transparente au niveau de son organisation et des acteurs mobilisés pour éviter les errements et contestations constatés par le passé. Espérons enfin que le ministère fera preuve d’exigence et d’audace pour donner un nouvel élan susceptible de conduire à une évaluation plus utile aux établissements et au progrès global de notre ESR.
En raison de la situation politique « globale » il aurait été vraiment étonnant qu’il en soit autrement ! On s’est rarement, même du temps d’Alice Saunier Seïté, aussi peu soucier au plus haut niveau, malgré les discours lénifiant, de développer l’enseignement supérieur en France et la dégringolade que l’on constate dans presque tous les domaines en est l’image la plus directe.
Effectivement, la démarche d’assurance qualité est l’ADN des agences d’évaluations européennes qu’elles soient nationales ou régionales.
Du MESR à la création de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) en 2007, puis du Hcéres, un bilan sur deux décennies de l’évaluation dans l’ESR me paraît nécessaire par exemple pour la mise en place d’une nouvelle gouvernance cette année. Une fois n’est pas coutume, le Hcéres pourrait ainsi produire dans cette nouvelle période d’intérim son propre rapport d’autoévaluation!
Quel est l’impact des rapports d’évaluation des laboratoires de recherche en considérant tout le travail fournit par les laboratoires, les comités et les personnels du Hcéres ? Ne peut-on pas à partir d’un référentiel national, accompagner et valider (Hcéres et tutelles) les initiatives de comité scientifique portés par des laboratoires ? N’est t’il pas plus important de disposer de synthèses nationales sur des thèmes définis par le MESR en coordination avec les autres ministères chaque année, ce qui permettrait un regard par un même comité d’évaluation sur les laboratoires et équipes concernées (au lieu d’un regard géographique tous les 5 ans) ? J’ai pratiqué cette expérience en tant qu’expert à l’étranger avec des variantes comme le couplage « laboratoire-masters-EDs » pour un thème donné avec un comité siégeant plusieurs jours en un même lieu et des équipes qui se déplacent (ou pas avec les visioconférences aujourd’hui) en ayant au préalable transmis leurs rapports et indicateurs.
Et ce que les rapports d’évaluation des formations LMD sont utiles pour les familles à la recherche d’éléments de comparaison avant de renseigner parcours sup ? Il suffit de se rendre dans les salons étudiants pour comprendre le décalage entre un secteur public trop évalué et trop finement par rapport à un secteur privé hors EESPIG non évalué et jouant sur les termes (bachelor, masterE, …) et les bons mots clés pour afficher des cursus.
Alors que les diplômes L&M sont évalués dans le détail, est-il normal de ne pas évaluer les composantes des universités accueillant plusieurs dizaines de milliers d’étudiants ?
N’est -il pas temps d’accompagner l’autonomie des universités inscrites dans une démarche qualité en s’inspirant de ce qui se passe en Europe avec un Hcéres en charge d’établir des référentiels et d’accompagner les établissements qui piloteraient leur évaluations en proposant leurs comités d’experts ? Les grains pertinents seraient ainsi proposés : par exemple l’évaluation de « department » c’est à dire ici des UFR, institut, écoles par des comités spécifiques. Cela permettrait de résoudre une anomalie flagrante : des UFR ayant parfois plus de 10 000 étudiants et jamais évalué depuis 20 ans contrairement à ce qui se passe à l’étranger.
N’est -il pas temps de faire une analyse de toutes les données des rapports d’activité produits par l’AERES et le Hcéres à l’aide d’une Intelligence artificielle générative spécifique pour extraire les éléments les plus pertinents ? Nous disposons pour cela de moyens informatiques adaptés …
Un peu moins de technocratie et plus d’audace pour répondre mieux à l’évolution des attentes des tutelles, des établissements, des personnels … et de la société. Bon courage à la future gouvernance du Hcéres!