Brève 16 : Les nouveaux contrats d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) : vers une nouvelle usine à gaz ?

Dans un article récent de l’AEF, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, présente les principes des nouveaux contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) qui vont être expérimentés avec une première série de 34 établissements. Ce dispositif va se placer au cœur de la relation entre le ministère et les universités, et aura un impact sur l’évaluation institutionnelle réalisée par le Hcéres.  Si les moyens nouveaux, d’un niveau significatif, associés à ces nouveaux contrats, ne peuvent qu’être accueillis favorablement, le contenu et l’organisation de ces contrats, en revanche, posent de nombreuses questions.

Le contenu des COMP traduit une vision administrée des établissements, aux antipodes d’une nouvelle étape de l’autonomie des établissements 

A première vue, la présentation du contenu des COMP apparait novatrice. Les établissements doivent produire un texte d’une quinzaine de pages décrivant un nombre réduit d’actions s’inscrivant dans six objectifs prioritaires. Des indicateurs associés et des engagements forts en termes de cibles à atteindre sont exigés de façon à permettre une mesure effective de la performance.

La ministre entame son interview à l’AEF en mentionnant que « l’objectif est de renforcer l’autonomie et la responsabilisation des universités ».  Malheureusement, les propos suivants nous ramènent rapidement à une réalité moins novatrice : « ces nouveaux contrats vont permettre un pilotage renforcé des politiques publiques et des priorités que je porte pour le ministère »…..

On découvre alors que parmi les six objectifs des COMP, quatre seront des thématiques imposées par le ministère, le cinquième objectif portera obligatoirement sur « l’amélioration de la gestion et du pilotage de l’établissement », et le sixième objectif « libre » sera choisi par l’établissement. De plus, une partie des indicateurs associés à chaque objectif sera imposée à l’ensemble des établissements.

A partir d’un tel scénario très formaté, les réponses des établissements vont probablement être très classiques, d’autant que les objectifs obligatoires proposés ne sont pas très originaux.  La mesure de la performance sera sans doute difficile. Pour répondre à ses priorités, la ministre aura très certainement des propositions d’action convergentes mais aura-t-elle l’assurance pour autant que ces contrats vont générer de nouvelles dynamiques dans les établissements ?  N’y a-t-il pas un risque de réponses très convenues, uniquement guidées par l’opportunité de moyens supplémentaires ?

La volonté de mesurer la performance et de réguler le versement des crédits attribués en fonction des résultats apparait comme un changement de pratique du ministère, mais là aussi, au-delà de l’intention annoncée, des questions se posent. Ne va-t-on pas encore une fois avoir des indicateurs quantitatifs éloignés des enjeux de qualité des activités universitaires, notamment dans le domaine de la recherche ? Est-il raisonnable d’envisager des indicateurs communs aux 140 écoles et universités concernées qui ont des contextes de développement très différents ? Les risques sont grands d’aboutir au final à une approche normative, avec une incapacité à prendre en compte les spécificités et les enjeux de développement de chaque établissement. Je peux comprendre l’enthousiasme des présidents et directeurs face aux moyens nouveaux annoncés, mais je ne suis absolument pas convaincu qu’une contractualisation, avec ce type de démarche, puisse constituer un moteur de progrès des établissements. La contractualisation est incontestablement un outil du développement de l’autonomie et de la responsabilité des établissements mais la méthode et le contenu proposés ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et nous allons probablement assister, une fois de plus, à une répartition très convenue des nouveaux moyens, reproduisant les équilibres et les injustices en place depuis des décennies. Tout changer pour ne rien changer ?…

 

Comment ajouter une couche supplémentaire de complexité ?

L’analyse des modalités de mise en œuvre des COMP révèle également les capacités de notre ministère à générer de la complexité.

On peut saluer tout de même une volonté de simplification avec l’abandon du dialogue stratégique et de gestion (DSG) même si la suppression de ce dispositif récent et annoncé, à sa création, comme déterminant, donne plutôt l’impression d’une agitation permanente, voire d’une instabilité et inefficacité du système.

Mais derrière cette simplification, de nombreuses modalités nous laissent perplexe :

Une durée des COMP et un calendrier de mise en œuvre, gages de complexité supplémentaire :

La durée choisie de trois ans s’inscrit manifestement dans l’objectif d’une mise en œuvre rapide des actions soutenues par les COMP avec un suivi annuel des indicateurs associés à chaque action.  On peut s’interroger sur la capacité à obtenir des résultats pertinents dans des délais aussi courts dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, où les cycles de développement sont souvent longs avec des activités complexes pour lesquelles il est toujours très difficile de mesurer précisément l’impact d’une action.  Par ailleurs, l’annonce du maintien des contrats d’établissement positionnés sur une durée de cinq ans pose la question d’une charge supplémentaire pour les établissements. Le ministère annonce également une mise en œuvre des COMP pour l’ensemble des 140 établissements éligibles en quatre vagues d’ici la fin 2024. Si on peut comprendre la volonté de faire bénéficier rapidement tous les établissements de ces nouveaux crédits, ces choix conduisent à la présence de deux calendriers totalement désynchronisés pour les COMP et les contrats d’établissement qui vont être très difficiles à gérer.

 

Une articulation des COMP et du contrat quinquennal d’établissement difficilement compréhensible :

La ministre annonce le maintien des contrats d’établissement en mettant en exergue leur dimension stratégique à moyen terme, alors que les COMP se veulent plus « réactifs avec un budget identifié », tout en reconnaissant « que le terme contrat pour les deux dispositifs peut amener de la confusion ». Non seulement cette double contractualisation génère de la confusion mais il est fort probable que les établissements, par souci d’efficacité, se focalisent sur les COMP porteurs de crédits, au détriment du contrat quinquennal d’établissement désormais sans véritable enjeu. Il y a donc un risque de désengagement des établissements en matière de réflexion stratégique et de positionnement à moyen terme, au profit d’actions de court terme conditionnées par les objectifs imposés par le ministère (cf supra). Pas certain que ces évolutions favorisent le développement de l’autonomie et de la responsabilité des établissements….

 

Une évaluation annoncée des COMP par le Hcéres et sans cohérence :

Les évaluations du Hcéres sont actuellement synchronisées avec le contrat d’établissement selon une organisation en cinq vagues. Les résultats de l’évaluation permettent d’éclairer l’établissement dans l’élaboration de son projet quinquennal et de servir de point d’appui aux négociations de la contractualisation avec le ministère. La ministre annonce que les COMP « seront réellement évalués dans le cadre de l’évaluation quinquennale du Hcéres » et « le Hcéres sera aussi dans la boucle de l’élaboration des COMP en vue de leur évaluation finale ». On peine à comprendre comment cette intervention du Hcéres sera possible avec des calendriers totalement désynchronisés. Le Hcéres apparait une fois de plus comme le fourre-tout de l’évaluation sans véritable réflexion sur le sens et les modalités de son action.  

 

La cerise sur le gâteau : l’intervention des recteurs ESRI

Pour complexifier un peu plus, si c’est possible, la ministre annonce que « pour la mise en place des COMP, les recteurs ESRI seront en première ligne et étroitement associés à la Dgesip et à la DGRI (directions du ministère) ». Elle indique également une réflexion en cours pour y associer les organismes de recherche et les collectivités. Outre la difficulté à coordonner ces différents acteurs pour un dispositif se renouvelant tous les trois ans, ces annonces semblent confirmer un rôle marginal du contrat quinquennal d’établissement dans ce contexte…

 

Conclusion

La proposition de nouveaux crédits dans le cadre de la contractualisation des établissements avec l’Etat ne peut être que saluée et il est légitime que la ministre souhaite y associer des outils de vérification des progrès réalisés par chaque établissement. La voie proposée avec les nouveaux contrats d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) et les modalités de mise en œuvre associées ne sont toutefois pas satisfaisantes car l’ensemble relève d’une nouvelle usine à gaz avec son lot de fausses bonnes intentions et de couches de complexité supplémentaires.

Nous ne sommes manifestement pas sur la voie du renforcement de l’autonomie et de la responsabilité des établissements. Avec les COMP, les établissements seront probablement plus enclins à des logiques d’opportunité qu’à des améliorations de leur pilotage.

Madame la ministre, osez une contractualisation novatrice à la hauteur des enjeux de développement des universités et écoles en proposant simplement une circulaire « page blanche sans contrainte » hormis celle de faire la démonstration de l’obtention de résultats en lien avec les priorités stratégiques de l’établissement. Une page blanche qui oblige les établissements à une réflexion et des engagements stratégiques spécifiques à leur histoire et leur parcours de développement, qui donne plus de sens et de motivation aux actions proposées par les acteurs, qui donne le temps de transformations en profondeur, qui exige des résultats tenant compte de chaque contexte et qui s’accompagne d’une évaluation rénovée, cohérente et ambitieuse. La performance qui en résultera ne sera peut-être pas uniforme mais elle sera sans aucun doute plus pertinente pour notre ESR.

Une réponse à “Brève 16 : Les nouveaux contrats d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) : vers une nouvelle usine à gaz ?”

  1. Bonjour Pr Fouquet
    J’apprécie vos articles et garde un bon souvenir de nos relations entre CPU Maroc et France 2002/2010
    Puis je les recevoir régulièrement à mon adresse e-mail:

    Cordialement
    Pr M. Bennouna
    Ex Président Univ A Essaadi Tanger Tetouan. Maroc

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