Introduction
Depuis la fin des années 80, la contractualisation s’est inscrite dans la vie des établissements avec des modalités qui ont sensiblement varié au cours du temps. Par période de quatre puis de cinq années, ce rendez-vous périodique avec l’Etat a conduit les établissements à élaborer des projets stratégiques les engageant dans la durée, contrepartie d’une progression de leur autonomie. Conjointement, l’évaluation institutionnelle a été développée comme un outil contribuant au diagnostic des problématiques de développement de chaque établissement, utile à l’élaboration du contrat d’établissement. L’objectif initial d’une synchronisation systématique de l’évaluation et de la contractualisation a été atteint avec la création de l’AERES en 2006 qui a institué une organisation de l’évaluation par vagues d’établissements. La contractualisation s’élabore ainsi à partir de trois documents : le bilan du contrat passé, le rapport d’évaluation institutionnelle et le projet d’établissement pour la période à venir. Le débat sur une évolution de la contractualisation, et notamment sur une plus forte articulation avec l’évaluation, est actuellement relancé. Cet article aborde quelques dimensions de ce sujet au travers d’un focus sur l’assurance qualité.
Quels fondements de la contractualisation en cohérence avec les principes de l’assurance qualité ?
Dans le contexte de l’autonomie croissante des établissements, il est tout à fait légitime et logique que l’Etat demande en retour des engagements des établissements par le biais d’une contractualisation. Il est également légitime que cette contractualisation intègre le sujet des priorités de l’Etat mais sans ignorer cependant les priorités propres à l’établissement. Cette articulation est délicate et par le passé, on a très souvent constaté des contrats très uniformes, confinant parfois à une préoccupation première de gestion centralisée de l’ESR par l’Etat. Ainsi, les contrats étaient peu spécifiques relativement aux problèmes majeurs de développement des établissements et n’induisaient que faiblement le sentiment d’engagement dans la durée pour l’ensemble de leurs acteurs internes.
A l’image de la problématique du suivi de l’évaluation évoquée dans l’article précédent, la réalisation et le suivi du contrat ont souvent été négligés par l’Etat et par les établissements, les engagements restant très généraux. C’est seulement dans une période récente que des démarches d’engagements plus précis avec des objectifs de réalisation, à partir d’indicateurs identifiés, ont été mises en place. Ces évolutions marquent une volonté de responsabilité accrue des établissements.
La culture du projet reste toutefois encore très présente et elle est largement entretenue par la multiplication des appels à projets liés au plan d’investissement d’avenir de l’Etat (PIA). Les établissements sont ainsi entrainés dans une course permanente à l’innovation au risque de négliger les engagements antérieurs ou tout simplement de ne pas être en capacité de déployer et de pérenniser correctement l’ensemble des projets. Cette forme d’instabilité liée au PIA et la multiplication des structures générées par les appels à projets au détriment de l’unité institutionnelle sont très préjudiciables en termes d’assurance qualité, pénalisant les déploiements des bonnes pratiques, le suivi des réalisations et le cycle vertueux de l’amélioration continue.
La problématique du lien avec l’attribution des moyens et les questions de l’engagement et de la responsabilité
La contractualisation a longtemps été appréhendée essentiellement comme un outil d’attribution aux établissements de moyens complémentaires, avec notamment l’idée centrale de permettre de corriger les carences du système d’allocation des dotations récurrentes de L’Etat. Cette focalisation a conduit à placer au second plan la notion d’engagement et de responsabilité en lien avec les priorités identifiées dans les contrats, réduisant même la contractualisation à un processus marginal quand l’enveloppe budgétaire de l’Etat affectée à la contractualisation s’est trouvée très limitée.
La préoccupation des moyens, certes totalement justifiée compte tenu de la situation de notre ESR, vient ainsi perturber le mécanisme fondamental de la relation Etat-établissement. Les logiques d’engagement et de responsabilité des établissements sont ainsi affaiblies. Cette course permanente aux moyens nouveaux place les établissements dans des logiques d’opportunités au détriment de la continuité des actions et de la mobilisation dans la durée de leurs forces vives. On ne garantit pas ainsi l’acquisition de résultats pérennes à l’échelle de l’établissement et le développement d’une responsabilité partagée de l’ensemble des acteurs. Le moteur de la « reddition de comptes », principe fondamental de l’assurance qualité, est ainsi pénalisé.
La question du périmètre du contrat : actions ciblées ou globalité de l’établissement ?
La question du périmètre de la contractualisation est sensible car elle peut vite conduire à un affaiblissement de l’autonomie des établissements au profit d’une administration centralisée par l’Etat. Il y a tout d’abord un enjeu de prise en compte des caractéristiques et des spécificités de chaque établissement pour donner du sens au contrat et accentuer le levier de la mobilisation des acteurs internes. La question se pose ensuite de privilégier seulement quelques sujets phares répondant aux problématiques majeures de l’établissement ou bien de parcourir l’ensemble de ses activités. Heureusement, la contractualisation a jusqu’à présent plutôt privilégié la démarche d’actions ciblées, même si le libellé des contrats a souvent conduit à des formulations peu discriminantes.
La question actuelle de l’intégration de certaines dimensions des projets PIA de l’établissement dans le contrat est pertinente car la multiplication des sources de « contractualisation » de l’établissement fait courir de multiples risques : dilution des priorités, redondance ou opposition de certaines actions, faisabilité face à la multiplication des engagements. Cette question est d’autant plus pertinente que tous les fonds concernés proviennent de l’Etat.
La révision de la contractualisation pourrait donc ambitionner de donner une vision consolidée des priorités stratégiques de l’établissement, une identification précise des engagements induits et une analyse globale de la cohérence et de la faisabilité de l’ensemble. Toute la difficulté de l’exercice réside dans l’objectif d’aboutir à un contrat de taille raisonnable, ciblé sur les actions essentielles à la réussite de la stratégie de l’établissement, pour ne pas alourdir la procédure d’élaboration et permettre un suivi effectif des engagements.
La logique de la relation contractualisation évaluation
La relation entre la contractualisation et l’évaluation institutionnelle s’établit logiquement à deux niveaux. L’évaluation peut tout d’abord contribuer à la vérification de la mise en œuvre effective des engagements du précédent contrat et des résultats et difficultés qui en ont résulté. L’évaluation peut également permettre d’identifier les problématiques clés de l’établissement dans la perspective d’un futur contrat adapté à ses besoins spécifiques.
On peut d’ailleurs noter que si le contrat a du sens pour l’établissement et correspond à un véritable engagement de ses acteurs, il est alors évident qu’il ne peut pas être absent de son autoévaluation. Le bilan du contrat peut ainsi se retrouver logiquement intégré au rapport d’autoévaluation, évitant un exercice séparé, source de charge de travail supplémentaire. Ce n’est malheureusement pas la réalité de la majorité des autoévaluations produites par les établissements, ce qui pose la question de la place effective du contrat dans la vie de l’établissement.
L’évaluation institutionnelle peut contribuer à la vérification de la performance de l’établissement au niveau des indicateurs quantitatifs associés au suivi de la mise en œuvre du contrat. Il serait toutefois très réducteur de réduire l’évaluation à une simple vérification de l’atteinte des objectifs. Des analyses plus qualitatives et une approche globale de l’ensemble des activités de l’établissement au-delà du simple périmètre du contrat sont nécessaires pour nourrir l’élaboration du contrat. C’est en particulier l’analyse de la capacité de l’établissement à conduire son développement global qui peut constituer un élément clé pour mieux adapter et calibrer les objectifs du prochain contrat. La tentation peut être grande d’exiger des rapports d’évaluations très synthétiques, focalisés sur les indicateurs du contrat et plus faciles à exploiter, mais il n’est pas certain que cela puisse réellement contribuer à un progrès de la qualité du pilotage des établissements et de leur dynamique interne.
Une meilleure élaboration de la contractualisation peut être bénéfique pour une réflexion stratégique plus unifiée de l’établissement, pour une plus forte intégration à sa démarche de progrès et à son processus d’évaluation.
Quatre étapes fondamentales successives peuvent alors rythmer la vie de l’établissement : L’autoévaluation intégrant le bilan critique du contrat précédent ; l’évaluation institutionnelle prenant en compte toutes les dimensions de la vie de l’établissement ; le projet stratégique de l’établissement s’appuyant sur les résultats de l’évaluation ; la contractualisation ciblant des actions phares incluant les projets institutionnels majeurs liés au PIA, des engagements mesurables et une vision consolidée des moyens associés.
Cet enchainement nécessite du temps de mise en œuvre mais il est souhaitable de limiter son déploiement à une durée maximale d’une année avec la périodicité actuelle de cinq années, pour limiter la charge induite et améliorer l’efficacité et l’impact du processus. Si ces quatre étapes mobilisent et responsabilisent l’ensemble des acteurs de l’établissement avec des engagements ciblés, exigeants et pérennes ainsi que des moyens cohérents, l’ensemble peut alors constituer un outil de progrès au sens de l’assurance qualité.
La nécessaire indépendance entre évaluation institutionnelle et contractualisation
Cette meilleure intégration entre la contractualisation et l’évaluation n’est toutefois pas sans risque. Il peut en effet y avoir la tentation de très fortement focaliser l’évaluation sur l’analyse du bilan de la contractualisation en mettant en avant des gains potentiels de simplification et d’efficacité des processus. Ce serait une grave erreur pour plusieurs raisons.
Dans le respect des principes de l’assurance qualité et des standards européens (ESG), il est très important de préserver l’indépendance de l’évaluation au niveau de la méthode utilisée et des experts mobilisés. S’il n’y a pas de menace perceptible au niveau de l’indépendance des comités, par contre l’instrumentalisation de l’évaluation comme un outil au service quasi exclusif de la contractualisation peut s’avérer beaucoup plus problématique. Cela pourrait tout d’abord restreindre la portée de l’évaluation en la focalisant sur le périmètre du contrat qui n’a pas vocation à recouvrir toutes les problématiques de l’établissement. Il y aurait alors indirectement une régression du respect de l’autonomie de chaque établissement. Les possibilités de discussions préalables avec chaque établissement pour accentuer l’analyse de certaines problématiques s’en trouveraient réduites sans compter les possibilités d’innovations méthodologiques de l’évaluation telles que le passage à une évaluation centrée sur l’analyse du système qualité de l’établissement.
Le Hcéres, autorité administrative indépendante, n’a pas à devenir prisonnier d’une mission qui réduirait l’évaluation institutionnelle à la vérification de la réalisation du contrat. Il ne peut pas se transformer en un service du ministère. La préservation de cette indépendance du Hcéres est également fondamentale pour les établissements et le développement de leur autonomie.
L’évaluation institutionnelle doit apporter une dimension supplémentaire au contrat en qualifiant la maitrise du pilotage stratégique de chaque établissement au-delà des actions ciblées du contrat et des moyens associés. Les rapports d’évaluation s’adressent en premier lieu aux acteurs internes de l’établissement mais également à un large public de partenaires et acteurs externes et pas uniquement au ministère. Le Hcéres, par ses évaluations institutionnelles, a vocation à contribuer à la contractualisation mais certainement pas à se mettre au service du ministère pour constituer l’opérateur du processus d’élaboration du contrat.
Conclusion
Les réflexions sur l’évolution de la contractualisation portent de nombreux enjeux.
Il y a bien évidemment l’enjeu important des moyens cohérents et suffisants au regard des missions, de l’ambition et du dynamisme des établissements. Mais la contractualisation est avant tout un moyen de responsabilisation accrue des établissements à partir d’engagements qui structurent leur développement, mobilisent leurs acteurs et ne se réduisent pas à de simples promesses, outils de la négociation.
Il y a incontestablement une simplification à opérer et même une clarification pour éviter la multiplication des formes de contractualisations aux travers des multiples appels à projets de l’Etat, chronophages, opportunités de moyens supplémentaires mais souvent sources de perturbation d’un développement adapté et cohérent des établissements.
Il y a enfin un enjeu d’une meilleure articulation de l’évaluation institutionnelle et de la contractualisation, mais attention aux déclarations péremptoires et aux annonces radicales car il est de l’intérêt de tous de bien peser les conséquences de chaque choix dans ce domaine. Transformer l’évaluation institutionnelle du Hcéres en un outil central de la répartition des moyens attribués par l’Etat serait une régression majeure des pratiques de l’évaluation, génératrice d’une défiance accrue des établissements et l’éloignant de sa vocation première d’outil de progrès pour ces derniers.